Un vol en apesanteur pour étudier le stockage du dioxyde de carboneProjet CO₂ EX | Chaire CO₂ ES
Beaucoup en rêvent, l’UPPA l’a fait. A l’automne 2021, l’équipe du projet CO2 EX a vécu une expérience extra-ordinaire, au sens propre du terme : flotter en apesanteur. L’objectif était d’étudier des comportements de dissolution chimique qui ne peuvent être reproduits sur terre en raison de la gravité.
Aéroport de Bordeaux-Mérignac, aux aurores. Onze équipes de scientifiques, venus de la France entière et même d’Allemagne, s’apprêtent à embarquer sur la « Vomit Comet », surnom donné aux avions « zéro G » permettant de se retrouver en apesanteur. En prévention, une piqûre de scopolamine, un anti-émétique, vient de leur être administrée.
Et c’est parti pour trois heures de montagnes russes géantes, à bord d’un Airbus A310 enchaînant accélérations et décélérations. Un total de 31 « montagnes » (paraboles), pour à peine 20 secondes d’apesanteur à chaque fois. Et rebelote les deux jours suivants. « J’ai été déçu que personne ne vomisse ! », s’amuse Cédric Giraudet, le responsable du projet CO2 EX (à gauche sur la photo).
Il s’agissait de la 2e session de vols paraboliques pour l’équipe CO2 EX, mais la plus importante, celle où les mesures ont été réalisées. Elle a été co-préparée dans le cadre d’un mémoire de licence d’une étudiante de l’UPPA, Emma Lisoir, qui était présente à bord (photo ci-dessous).
La première session, un an plus tôt, avait servi de test aux réglages du dispositif. Y aura-t-il une troisième session ? « Pas pour le moment, indique Cédric Giraudet. Dans un avion il y a beaucoup de vibrations, ce n’est pas idéal pour nos mesures. » De plus préparer un vol parabolique prend énormément de temps et d’énergie (lire ci-dessous). Prochain objectif cependant : la station spatiale internationale (ISS), à l’horizon 2025-2030.
Le projet de recherche CO2 EX
« CO2 Storage EXperiment » (expérience de stockage du CO2), dirigé par Cédric Giraudet, post-doctorant au LFCR, est un sous-projet de la chaire de recherche E2S UPPA « CO2 Enhanced Storage » (stockage amélioré du CO2) portée par Fabrizio Croccolo. Le dioxyde de carbone est un gaz à effet de serre important, et l’une des façons de protéger la planète pourrait être de le stocker dans les aquifères salins profonds, c’est-à-dire sous les nappes phréatiques.
Le projet CO2 EX prévoit une série d’expériences visant à comprendre les mécanismes qui génèrent la dissolution convective du CO2 supercritique – c’est-à-dire chauffé et comprimé – lorsqu’il entre en contact avec de l’eau salée. L’équipe étudie l’évolution des fluctuations de non-équilibre qui, sur terre, sont amplifiées par la gravité et génèrent le phénomène de convection. L’apesanteur permet donc de développer les théories décrivant l’évolution du système sous l’effet de la gravité. Et donc de valider ou invalider la pérennité du processus de stockage de CO2 dans le sous-sol terrestre.
D’une façon plus large, la détermination de ces propriétés permettra d’optimiser les procédés industriels qui font intervenir des solutions ayant au moins deux composés chimiques, notamment dans les domaines pharmaceutiques, énergétiques, cosmétiques et alimentaires.
Composition de l’équipe
Cédric GIRAUDET, Fabrizio CROCCOLO, Emma LISOIR, Mohammed CHRAGA, Paul FRUTON
Localisation : Anglet, campus de Montaury
Le dispositif technique
Un faisceau lumineux, fourni par une diode super luminescente, passe à travers la cellule de thermodiffusion. Dans celle-ci, des variations d’indice optique diffractent la lumière que l’on observe à l’aide d’une caméra placée en champ proche.
La cellule est remplie et installée sur le dispositif expérimental. On applique une différence de température (gradient thermique) entre le haut et le bas de la cellule de 20 °C. En raison de l’effet Soret, le gradient thermique induit un gradient de concentration qui est responsable de l’apparition d’intenses fluctuations de non-équilibre, à plusieurs échelles temporelles et spatiales. Les temps de relaxation en question contiennent des informations sur les propriétés de transport du mélange étudié.
Pour analyser ces fluctuations, l’équipe utilise l’ombroscopie dynamique quantitative, basée sur l’étude spectrale de différences d’images, et un algorithme très performant de traitement d’images.
Vol parabolique : de longs préparatifs
Ces vols en apesanteur impliquent un temps de préparation long et minutieux, représentant plusieurs mois de travail à temps plein pour 4 personnes, en raison des règles de sécurité drastiques à bord.
Chaque élément du dispositif technique, entièrement fabriqué par l’équipe, doit pouvoir résister à neuf fois son propre poids (« 9g ») dans toutes les directions. Il ne doit y avoir aucun risque d’explosion ni de coupure. Il faut également pallier toute erreur humaine potentielle ; ainsi aucun câble électrique ne doit pouvoir être arraché accidentellement. Mais les risques primaires sont les objets qui volent. Une vis mal serrée par exemple peut facilement être projetée dans l’œil de quelqu’un. Une personne à bord est d’ailleurs chargée d’attraper tout objet flottant, parfois même les chercheurs s’ils ne sont pas bien attachés.
Les équipes doivent fournir en amont à Novespace, l’opérateur du vol (filiale du CNES), un document de près de 100 pages détaillant le schéma électrique du dispositif, les produits inflammables utilisés et confirmant que chaque élément a été vérifié. Ainsi chaque vis doit être serrée avec la même force, et une petite marque rouge est faite au vernis pour pouvoir facilement visualiser lorsqu’elle commence à se desserrer. Pour certains tests comme l’étanchéité, des vidéos doivent être envoyées.
En ce qui concerne la préparation physique, celle-ci reste légère : un dossier médical à remplir et des électrocardiogrammes à effectuer, plus évidemment les règles sanitaires des temps Covid.
Au moment de la campagne de vols, il faut compter deux semaines de présence à Mérignac : la première pour préparer l’appareil, la seconde pour les vols.
Comment fonctionne un vol parabolique
Pour obtenir l’effet d’apesanteur, l’avion doit effectuer une trajectoire en forme de parabole. Les trois pilotes font grimper l’avion à 45° environ puis coupent les moteurs et se laisse redescendre avant de remettre les gaz. L’apesanteur dure une vingtaine de secondes (partie en bleu foncé sur le schéma).
Vols paraboliques - Un peu d’histoire
1950 Idée lancée par deux savants allemands ayant émigré aux États-Unis
1959 Premier vol parabolique aux États-Unis
1961 Création du Centre National d’Études Spatiales (CNES) en France
1975 Création de l’Agence Spatiale Européenne
1984 Premier vol parabolique opéré par l’Agence Spatiale Européenne et le CNES
1997 Novespace, filiale du CNES, prend le relais pour l’exploitation des vols
2004 Premiers vols paraboliques ouverts au grand public aux États-Unis
2014 L’Airbus A300 Zero-G est remplacé par un A310 mieux équipé
Bénédicte Lamothe - Direction de la communication / E2S UPPA